2012
by Caroline Rousseau
La photographe Cathleen Naundorf sort un beau livre qui porte bien son nom, tant par son sujet que par la technique employée.
CAROLINE ROUSSEAU
PHOTOGRAPHIE
Dans l’une des jolies librairies que compte Paris (7L, Palais de Tokyo, Colette, La Chambre Claire, Galignani, Ofr, Jeu de paume, Musée des arts décoratifs), vous risquez de tomber ces jours-ci sur une pépite. Sous sa couverture textile (avec lettres d’argent et photographie sur papier glacé), le beau livre Haute Couture, de Cathleen Naundorf, renferme comme un secret bien gardé toute la magie diffuse et la grâce volatile d’un vrai moment de mode. Celui qui fait se rencontrer une femme et une création. Par essence éphémère et rare, il résonne comme une émotion brute dans le corps de celui qui sait le saisir. La force de Naundorf n’est pas seulement de capter cet instant, mais de savoir le reproduire.
La photographe allemande, née en 1968, a étudié les arts graphiques et la peinture à Munich, et fait du photojournalisme en Amazonie ou en Sibérie avant de shooter les coulisses des défilés parisiens. Elle « continue de croire à la force que dégagent la beauté pure et Vélégance lorsqu’elles sont mises en scène », explique Matthias Harder, directeur de la Fondation Helmut-Newton à Berlin, dans le passionnant texte introductif de l’ouvrage. Naundorf s’est donc débarrassée de tout ce qui fait notre époque : l’urgence, les marques et les people.
HORS DU TEMPS
Les robes couture somptueuses qu’elle s’est fait prêter sont évidemment signées Chanel, Dior, Jean Paul Gaultier, Christian Lacroix, Giorgio Armani, Valentino, Elie Saab… mais juste créditées en fin d’ouvrage, et les mannequins (fantastiques) ne sont pas connus. Voici donc le lecteur-spectateur devant des œuvres titrées Homage to Horst P. Horst, Moulage du Louvre II, 5 PM Kensington, Le Cocon, etc.
L’idée même de haute couture fait sens dans le fond comme dans (a forme. Le travail minutieux du couturier et de ses ateliers rejoint celui de la photographe, qui travaille avec un appareil argentique grand format et des films Polaroid (for mats 4×5 et 8×10 pouces). « Avec une petite équipe d’assistants, visagistes et coiffeurs, elle arrange la mode et les modèles, tantôt sur le fond neutre du studio, tantôt devant un vaste décor architectural », poursuit Matthias Harder. Les femmes de Cathleen Naundorf apparaissent donc, divinement mises, dans un atelier d’artiste, dans la galerie d’anatomie comparée du Muséum national d’histoire naturelle, sous la verrière magistrale ou sur le toit du (Grand Palais, dans les cuisines du Plaza Athénée… Parfois minuscules dans leur rap ix)rt au monument, parfois plein cadre, toujours extrêmement présentes. Ce qui plaît, c’est la densité et la grande beauté de ces femmes pensives ou rieuses. Et le sentiment qu’elles n’appartiennent ù aucune époque, aucune saison. Les « défauts » des photos comme rongées, fanées, oxydées, et la composition minutieuse, renforcent l’idée du temps : celui qui passe et aussi celui passé à prendre la pose, à enfiler la robe, à regarder l’objectif ou à lui tourner le dos. En feuilletant cet « album » à la mélancolie séduisante, on s’interroge (mais qui sont-elles ? à quoi pensent-elles ?) et on plonge avec délectation dans une fantasmagorie humaine faite de chair, de sentiments et de soie.
Haute Couture. The Polaroids of Cathleen Naundorf, Éditions Prestel, 49,95 €.
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